LES OBJETS QUI PARLENT
Une exposition de Kristina Solomoukha
avec l’aimable participation de Jean-Marie Courant, Igor Marchal, Paolo Codeluppi
Avec le soutien du Centre national des arts plastiques (aide à la première exposition),
Ministère de la Culture et de la Communication
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Les objets qui parlent dispensent l’artiste d’une tâche délicate : celle de parler de son exposition, de son travail, pire d’en écrire le statement. Ici nul besoin de déclaration publique lisible, brillante, nette, précise, affutée, aussi subtile qu’une flèche allant droit au cœur du spectateur en flattant son entendement, puisque les objets s’en chargent. C’est pratique les objets qui parlent. Mais encore faut-il les entendre. Et pour cela, savoir se placer de leurs points de vue. Bondir puis prendre ses distances, se cogner aux choses quitte à les casser parfois, butter sur ce que l’on ne veut pas dire, bref discuter.
« Les objets qui parlent » est le titre d’une exposition qui repose sur des gestes d’écriture, là où, pourrait-on dire, l’énoncé ou l’articulation d’une parole trouve « une existence rémanente dans le champ de la mémoire ou dans la matérialité des manuscrits et de n’importe quelle forme d’enregistrement »[1].
Et ce n’importe quelle forme d’enregistrement est, notamment, sculpture quand elle prend la mesure de l’espace et le négocie ; photographie quand elle montre ou témoigne publiquement ; accouplement de mots quand ils font images qui font objets qui font récits ; autant de choses qui, au-delà de questions et d’enjeux internes parfois indépendants comme le jeu, l’échange, l’hétéroclisme, le montage, j’en passe, font joyeusement acte des différentes dimensions matérielle, juridique ou conceptuelle qui régissent la fabrication et le système d’une exposition.
Plusieurs boules, 5 ou 6 peut-être, sont ainsi disposées sur une table. Ces boules en terre, de tailles modestes, sont à l’échelle de la main. Elles sont d’apparence muette, à moins que l’on remarque les empreintes dans la matière de combinaisons de signes distinctifs tels la pyramide, le cube, la sphère, le disque, le trapèze, le cône, le cylindre, etc. On les appelle les Contrats. Elles reprennent en effet le principe d’un très ancien instrument permettant de contracter les termes comptables d’actes administratifs concernant, par exemple, un échange, admettons entre deux agriculteurs, 4000 ans avant JC, en Mésopotamie. L’enjeu de l’échange, admettons trois chèvres, était alors représenté par des objets appelés « calculi », par exemple un triangle ou plutôt trois triangles, modelés dans l’argile puis séchés au soleil avant d’être glissés dans une boule modelée à son tour autour du pouce du contractant, et sur laquelle trois triangles avaient été imprimés préalablement. La boule séchée au soleil, fragile puis conservée dans des proto-archives, faisait office d’aide-mémoire officiel. En cas d’oubli ou de litige, il suffisait de casser le contrat (la boule) pour en retrouver les termes. Tout est dit : 3 triangles = 3 chèvres.
Les boules en terre crue présentées dans cette exposition sont donc les Contrats faisant acte des engagements et des promesses de l’artiste envers différents participants – envers la galeriste, envers le graphiste, envers l’auteur de ce texte, envers de futurs collaborateurs, envers l’espace publique, (envers et contre tout). Chaque contrat renferme un certain nombre de calculis – de petites formes géométriques, en terre cuite, colorées et émaillées dont la variation des combinaisons dessine différentes situations.
Il est intéressant de noter que chaque sculpture aussi fragile soit-elle fait paradoxalement résistance à la connaissance. Pour en connaître ou en vérifier le contenu, il faut la détruire. Détruire, dit-elle ou alors descendre dans le sous-sol de la galerie où l’on retrouve les Expositions, c’est-à-dire chaque combinaison de formes promises, photographiées dans le creux d’une main avant d’être scellées dans la terre.
Des expositions de main.
☐∆ O
Nul besoin d’intermédiaire, les objets se chargent de tout. Reste à regarder l’exposition comme on monte un cheval à cru[2].
Elfi Turpin, février 2012
[1] Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Gallimard, 1969.
[2] Je m’expliquerai sur ce point et cette méthode dans la prochaine publication de Kristina Solomoukha
Vue d’exposition, Les objets qui parlent, galerie Dohyang Lee, photo © Aurélien Mole.
Avec le soutien du Centre national des arts plastiques (aide à la première exposition),
Ministère de la Culture et de la Communication
Exposition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 2012, photographies couleur, tirages lambda, 38 x 50 cm (encadrées)
Vue d’exposition, Les objets qui parlent, galerie Dohyang Lee, photo © Aurélien Mole.
Avec le soutien du Centre national des arts plastiques (aide à la première exposition),
Ministère de la Culture et de la Communication
Bird’s eye view, 2012, céramique émaillée, 22 x 33 x 1 cm. Brique, 2012, céramique, 10,5 x 5 x 22 cm
Vue d’exposition, Les objets qui parlent, galerie Dohyang Lee, photo © Aurélien Mole.
Avec le soutien du Centre national des arts plastiques (aide à la première exposition),
Ministère de la Culture et de la Communication