Vernissage le Samedi 15 Octobre 2016 de 17 h à 21 h
15.10 – 23.12.2016
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En 1917, Fernando Pessoa écrit un récit initiatique assez étrange, Le Pèlerin, dans lequel le narrateur s’engage au sein d’un périple à l’intérieur de son pays, sans en connaître réellement la raison. A travers des villes et des villages, il recherche un mystérieux Homme en noir qu’il aurait vu fugacement. Bien au-delà des routes d’un seul territoire, Louis-Cyprien Rials entreprend dès 2006 un séjour de trois ans au Japon où il immortalise des bâtiments à l’abandon. Mais habité de géopolitique, il réalise qu’il ne peut se contenter d’une approche formelle de ces sites et faire de la seule poétique architecturale son sujet. En parallèle, il développe un travail sur les pierres italiennes, à partir de celles qu’il collectionne, scanne et édifie en picturalité paysagiste, puis débute ses vidéos. L’une des premières Nessuno – d’ailleurs le titre d’un poème de Fernando Pessoa -, se déroule dans le vent d’un désert espagnol, évoquant un Don Quichotte face à ses moulins… Le ton se durcit au fils des ans, puisque l’artiste se rend à Tchernobyl, en République Turque de Chypre du Nord, à Bahreïn, puis en Irak en 2015, obsédé autant par les lieux que ceux qui les hantent, sujet qu’il décline dans sa première exposition en galerie, Introducing.
Une Chine fantasmée, qu’il n’a pu visiter après un accident arrivé au Kazakhstan, est à l’origine de certaines nouvelles pièces s’inscrivant dans une perception du pays construite à travers ses poncifs ou ses réalités. Des pierres taillées, glanées sur internet, laissent planer le doute sur l’authenticité de leur origine, mais non sur leur apparence proche de la matérialité de la chair. Des sculptures en fausse fordite, pléonasme d’un minéral créé par l’homme et provenant de peintures d’anciennes carrosseries de voitures, s’accompagnent d’une vidéo qui surjoue dans ses tons kitch l’impossibilité des touristes du Lexiaguo, une terre rouge du Dongchuan, de ne pas saturer leurs couleurs. Jusqu’à présent séduit par des carnations davantage associées à l’idée du bon goût, Louis-Cyprien Rials s’éprend de couleurs vives et dansantes. Puis dans un grincement de dents interrogeant le but des globe-trotteurs assoiffés de découvertes, combiné à une réelle empathie pour les habitants des pays qu’il visite, il édite des cartes-postales des lieux qui n’en ont pas, tels la zone d’exclusion de Tchernobyl, la ville de Varosha, devenue fantôme suite à l’invasion Turque, ou l’ancien monument du parti communiste en Bulgarie, Buzludzha, avant d’imposer une rupture de rythme. A nouveau, l’élégance des impressions minérales qui réfèrent aux amours que, déjà, Pline L’Ancien nourrissait pour les pierres. Tout comme Roger Caillois, qui s’intéressait en parallèle à la guerre et remarqua que les paésines, appelées aussi des marbres en ruine, reproduisent pour certaines des paysages évoquant des villes embrasées ou délabrées, habitées de minarets ou de beffrois qui s’écrouleraient… Louis-Cyprien Rials a été témoin de pays massacrés, notamment quand il se rend à Bakofa en Irak, et se retrouve dans une ville désertée des Chrétiens d’Orient, dont les fantômes ne subsistent que dans leurs icones abandonnées. Il se fait Pèlerin et aurait pu incarner un personnage de Pessoa. Il fictionnalise sa réalité et passe à l’action, considérée comme étant bien plus salutaire que l’abandon suicidaire de l’artiste Bas Jan Ader, qu’il cite souvent.
On reconnaît ses autres références dans des hommages très appuyés à Stalker, d’Andreï Tarkovski et La Jetée, de Chris Marker, pour ses dernières vidéos, And there was no miraculous ou Polygon. Si ce titre rappelle évidemment la figure géométrique, il s’agit aussi d’un site internet américain consacré aux jeux vidéo, dont l’idée est de s’attacher à l’histoire de ceux « derrière » le jeu, autant qu’au jeu lui-même. Séquencé en quatre parties, en noir et blanc et couleur, son propre Polygon renvoie à bien des niveaux à ses deux cinéastes préférés. Avec le réalisateur russe, Louis-Cyprien Rials partage une vision mystique du monde et la volonté d’imposer dans son travail une frontière non élucidée entre l’imaginaire et le réel. Chez lui aussi, on part à la recherche d’une « Zone », filmée par Tarkovski devant la centrale Electrique de Tallinn, en Estonie, et vécue ici au polygone Nucléaire de Semipalatinsk. De La Jetée, on retrouve l’obsession des cicatrices, de la guerre, la mort ou la destruction de villes, rendue plus supportable par l’érotisme de voix chuchotant dans une langue étrangère. Là encore, on y parle de radioactivité et d’expérience, comme celle que s’est imposée Louis-Cyprien Rials pour sa première performance filmée. Dans And there was no miraculous, il s’immortalise ainsi nu et séchant au soleil, après une plongée dans le Lac Chagan, créé en 1965 au Kazakhstan par l’essai nucléaire éponyme. Au-delà d’un appel sacrificiel ou d’une recherche de stigmates, l’expérience confirme cette appétence désespérée de moments vécus, affirmant que l’artiste ne mène pas un travail sur la mémoire mais sur une exploration empirique continuellement en train de se nourrir. Mais il ne pleure pas, à l’opposé d’un Bas Jan Ader qui interpella le regardeur de la tristesse infinie d’une vidéo dans laquelle il s’effondrait à défaut de n’avoir plus rien à dire.
Dans Stalker, celui qu’on nomme l’écrivain, révèle à un moment : « Je creuse la vérité et pendant ce temps, il lui arrive quelque chose. », et c’est dans cet élan que Louis-Cyprien Rials poursuit sa quête, avec emphase – mais n’est-ce pas la qualité-même associée à cette action ? – précisant néanmoins la cohérence de sa route aux fils des projets qu’il réalise.
Octobre 2016
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