SxS dans R – 4e volet
24 novembre 2009 – 16 janvier 2010


Sur une invitation d’Adrien Pasternak avec Claire Adelfang, Hermine Anthoine, Argentinelee, Damien Aspe, Armelle Caron, Geoffrey Crespel, Marie Denis, Jean Jacques Dumont, Anne Favret, Sandra Foltz, Jean Guillaud, Jean-François Guillon, Marie Lelouche, Guillaume le Moine, Laurent Mareschal, Patrick Manez, Mathias Mongin, Tami Notsani, Marion Orel, Simon Ripoll-Hurier, Laurent Sfar, Tadzio, Mathieu Weiler.

 

L’exposition « S x S dans R » reprend dans son intitulé une formule insolite issue de la théorie des graphes* et perçue comme un clin d’oeil symbolique à nos complices mathématiciens. Cette exposition marque le quatrième volet d’un projet évolutif lancé il y a un an environ, où l’on retrouve à la fois des artistes présents dès la première sélection et un renouvellement de talent et de propos. La notion de « réseaux » est ici évoquée sous forme de laboratoires dédiés à des oeuvres reflétant en alternance un engagement profond et un regard imbu de dérision : réseaux sociaux, réseaux informatiques, réseaux géographiques, réseaux scientifiques, réseaux génétiques, réseaux alimentaires, réseaux humains… L’accrochage au rez-dechaussée de la galerie est principalement composé d’oeuvres en volume… Dans sa trajectoire, le spectateur peut aussi bien déambuler que se retrouver arrêté face à des créations installées là où on ne s’y attendrait pas. Ainsi en filigrane différents niveaux de lecture sont à imaginer tantôt pour des raisons esthétiques (par exemple : les oeuvres en marbre, en verre ou en terre cuite ont été placées au plus près de la lumière du jour pour mieux souligner les transparences de ces matériaux singuliers) tantôt pour des choix conceptuels. En sous-sol, nous revenons à un accrochage plus classique puisque linéaire et composé d’oeuvres graphiques incitant le regardant à la contemplation : dessins, photos, collages… Enfin, 8 vidéos sont diffusées sous forme de panorama entre les deux étages : un grand écran plasma au rez-de-chaussée et une projection murale en sous-sol.

C’est avec ce qui pourrait passer pour une inadvertance affichée que Marie Denis décide de placer trois annuaires téléphoniques retournés à l’envers et rattachés par des élastiques sur le rebord discret d’une vitrine située à l’entrée de la galerie. Vous avez dit réseaux ? Il est ici rendu hommage aux êtres humains habitant le « tout Paris » au sens propre du terme : listés dans les pages blanches du bottin (exceptés ceux qui sont sur liste rouge). À l’autre extrémité de cette vitrine Damien Aspe installe un tout petit objet électrisé en néon représentant la lettre A. Cette lettre symbolise aussi bien un logotype désignant le nom de l’artiste lui-même (« Aspe ») que l’arobase « at » que les milliers d’internautes emploient au fil de leurs communications quotidiennes par courriel. Jean-François Guillon pose à terre un livre relié par un faux câble qu’il rattache à une prise électrique – cette fois-ci réelle – de la galerie… Guillaume Le Moine présente un dessin sur la thématique de la foule, projet s’inscrivant dans une réflexion sur la place de l’image à l’heure de sa consommation massive. Mathieu Weiler réalise une encre de chine sur papier intitulée « Double blind » (double-aveugle : terme médical utilisé lorsqu’un expérimentateur ignore à quel groupe il est assigné et s’il reçoit une molécule active ou un placebo). Ce travail questionne le statut de l’image et celui de son double, la réalité… Argentinelee dans sa vidéo « Feeling_Engine » parle avant tout des machines de réseaux et de l’instantanéité de moteurs de recherche. Elle questionne la perte d’identité des individus égarés dans la foule virtuelle et les sentiments humains à l’ère de l’informatique. La sculpture de marbre taillée par Mathias Mongin évoque la rencontre humaine, jouant aussi sur la notion du double et sur celle de la quête d’identité. Il conçoit deux paires de pieds très réalistes ne laissant apparaître aucune autre partie du corps humain et les relie à deux autres pieds identiques. Marie Lelouche aborde aussi le corps humain. Son installation composée d’un buste de verre ne laisse quant à elle apparaître ni pieds comme la sculpture de Mathias Mongin, ni même bras ou tête. En revanche des pans de tissus de 5 couleurs vives viennent orner et contenir ce corps comme s’il demandait à créer du lien avec nous. Le diaporama vidéo de Tami Notsani est un réseau du type Facebook version Post mortem… L’une des performances les plus surprenantes d’une précédente exposition sur la thématique des réseaux fut celle de Laurent Mareschal. Muni d’un sac légèrement troué contenant des pâtes en forme de lettres, il retraça les pas possibles d’un visiteur découvrant l’exposition que j’organisais avant son ouverture. Sur plusieurs centaines de mètres carrés d’espace d’exposition, Laurent Mareschal donnait alors un rythme à cet accrochage non seulement en se transposant dans les pas imaginaires du public qui allait découvrir les créations des 31 artistes mais également en laissant les pâtes à terre sur lesquelles les visiteurs marcheraient par la suite. La vidéo qu’il a réalisée rend donc compte à la fois de sa performance et d’un autre accrochage lié aux réseaux. Dans la sculpture d’Hermine Anthoine, des dizaines et des dizaines d’ailes d’oiseaux en terre cuite rattachées à une cage suspendue par le plafond forment dans leur ensemble une éclipse solaire. Ces oiseaux « se démultiplient à la périphérie des barreaux. Fragiles, ils se soutiennent les uns les autres et ce réseau construit la stabilité de la sculpture pendulaire », m’indique-t-elle. Jean-Jacques Dumont a réalisé deux boussoles à échelle humaine fonctionnant quasiment en mode diptyque. La première est présentée à la galerie Floralee et s’intitule « Le Sud toutes les soixante seconde » tandis que la seconde, « Le Nord toutes les soixante secondes », est présentée presque simultanément dans un autre accrochage collectif au sein d’un Fonds régional d’art contemporain. Ces deux pièces évoquent la notion du mouvement du nord au sud sous-entendant évidemment aussi celui de l’Est à l’Ouest, impliquée dans toute activité d’échange, telle une évocation en soi des échanges géographiques. La vidéo « Supermaché aire de pique-nique » de Laurent Sfar et Jean Guillaud nous parle de la société de consommation à outrance et de la chaîne alimentaire… Le puzzle « Permanente » proposé par Sandra Foltz et Laurent Sfar est à constituer soi-même. Ici sont aussi bien exposées les pièces mélangées du puzzle – posées sur une tablette – qu’un poster représentant l’image à mettre au point. Un autre puzzle cette fois-ci finalisé et même laqué par Geoffrey Crespel laisse à décrypter subtilement un lettrage annonçant le titre du tableau : « Fraternité aux météores ». « La mémoire fonctionne en rhizomes et en réminiscences qui, figurée mentalement, ressemblerait à un réseau complexe de souvenirs et d’omissions volontaires ou non. C’est aussi l’instrument de notre cerveau qui nous dicte les conduites en société par les systèmes d’apprentissage » explique Geoffrey. La vidéo « Racine » de Claire Adelfang pose la question de la séparation et du renouvellement. « Les mains saisissent ce magma de racines et le déracinement se fait avec maîtrise, retenue et accompagnement. La terre retourne à la terre, les racines aux racines. Puis, la terre, tel un écran noir, poursuit son cycle »… Simon Ripoll-Hurier dans sa vidéo « Crime Scene Investigation » nous remémore par bribes des extraits durant chacun une courte seconde de séries policières américaines contemporaines. Des séquences de villes vues d’hélicoptère sont synchronisées avec des répliques « d’enquêteurs ». Armelle Caron réalise deux grandes impressions numériques sur toiles intitulées « Paris rangé » et fonctionnant en diptyque. La première représente notre capitale à travers un plan monochrome de la ville. La seconde reprend tous les contours vectorisés de la même ville pour les ranger en une forme d’alphabet. Ils apparaissent presque tels les livres d’une bibliothèque classée dans un ordre cohérent. La série des 6 photographies de la ville de Gênes réalisée par Anne Favret et Patrick Manez évoque l’enchevêtrement des réseaux de communication et la compression des données visuelles. La vidéo « KL – layers » de Tadzio nous parle aussi de réseaux urbains, reprenant le terme anglais « layers » qui évoque les différentes strates de la ville, ici celle de Kuala Lampur (KL). « Les réseaux permettent en général une communication rapide et de nouveaux modes de transmission à l’instar de notre société moderne ; on peut ici y voir comme un ralenti ou un zoom sur un phénomène inexorable de notre urbanisme effréné » précise Tadzio. Marion Orel nous propose un collage à base de tickets de métro ainsi qu’un montage de gommettes. Pour aborder cette question de réseaux, la thématique a été librement interprétée par les artistes concernés suivant le même mode d’emploi appliqué aux 3 premiers volets de cette exposition, présentée tour à tour à Sèvres (la Générale en Manufacture), à Paris (Jeune création) et à Huismes (Maison Max Ernst).

 

* « La théorie des graphes est une branche commune à l’informatique et aux mathématiques étudiant les graphes et les objets qui lui sont propres, comme les chemins. Le concept de graphe, à ne pas confondre avec le graphe d’une fonction, permet d’étudier les propriétés de certaines structures comme les réseaux (réseau social, réseau informatique, etc.) ou, plus largement, les relations binaires. Les algorithmes de la théorie des graphes ont ainsi de nombreuses applications importantes. Enfin, la nature particulière des relations entre les objets de cette théorie, ou les propriétés structurelles dont elle révèle ont influencé considérablement l’optimisation combinatoire. On parle de fonction de valuation définie de S X S dans R. »

 

 

Sandra Foltz & Laurent Sfar Permanente (1,2,3), 1998-2008

Sandra Foltz & Laurent Sfar
Permanente (1,2,3), 1998-2008 (détail)
Boîte, puzzle 1200 pièces, 52,2 x 72,2 x 6 cm
7 exemplaires + 2 ex. E. A

 

coming back again to paris, marion orel

Marion Orel
Coming Back Again (to Paris), 2008, encre, tickets de métro,
49 x 49 cm, pièce unique

 

Damien Aspe Tag#1, 2008

Tag#1, 2008
néon, 11,5 cm de diamètre
10 exemplaires