23.03 – 27.04.2019
A la Galerie Dohyang Lee, Paris, France
Pour le troisième volet de la trilogie, Louis Cyprien-Rials nous emmène dans une faille spatio-temporelle, Au pied du gouffre. Après avoir parcouru les routes d’Afrique de l’Est, observé la violence à travers la fenêtre, c’est dans un désert de solitude que nous terminerons. Seul, face à des paysages abiotiques, le temps passe.
Nous foulons un sol aride, fait de sel ou de lave. La terre gronde. Sur notre chemin, nous croisons les signes et les symboles d’un autre temps, dont nous ignorons la provenance et le sens. Fascinés, nous les scrutons sans comprendre ce qu’ils tentent de nous indiquer, de nous révéler. Il ne s’agit plus d’interroger, d’observer, ou de témoigner. Nous sommes face au vide, face au néant, face au Temps, face à la beauté.
Au pied du gouffre est le dernier chapitre d’une trilogie. Il relie des instants, ici et là-bas. Il annonce un ailleurs.
Dans un premier espace, trois territoires, trois expériences, trois périodes. L’Italie, il y a des millions d’années. Le Japon, en 2007. Le Kazakhstan, en 2016. Un parcours dans les sillons de la mémoire.
Le voyage démarre sur un long tirage pigmentaire qui nous dresse le portrait minéral d’une Pietra Paesina. Une pierre précieuse par sa beauté et l’évasion qu’elle nous offre, la regarder revient à s’égarer dans un imaginaire lithique. S’en suit le nuage noir d’une éruption volcanique figée et abandonnée là. Sa brume charbonneuse donne vue sur le lac, à fleur d’horizon : une eau frissonnante et surprenante par sa teinte. Autour, il n’y a rien. Et pourtant, l’invisible est dense. Le X-ray records en est la matérialité.
Les X-ray records sont des radiographies médicales sur lesquelles sont gravées de la musique. Une technique qui date de l’époque soviétique où la musique est résistance et se vend sous le manteau. Les trois prototypes de Polygon X-ray présentent une musique composée et interprétée par Romain Poirier. Une adaptation qu’il a réalisé pour les X-ray records à partir du thème « Polygon » écrit pour la vidéo éponyme de Louis-Cyprien Rials, tournée en 2016 au Kazakhstan. Une partition pensée en gradation, une mélodie de drone mélancolique surplombant des terres scarifiées par plus de 700 tests nucléaires entre 1949 et 1990, où les vrombissements des basses vont crescendo, rythmés par des temps morts où silence et larsen se confondent, pour nous plonger ensuite dans une violence presque assourdissante, suffocante, écrasante. Un voyage dans les limbes, inspiré par la radioactivité et l’impact des ondes radioactives lors d’explosion.
Trois propositions qui s’apparentent à des obsessions et forment cependant les lignes directrices de projets au long cours, la genèse de projets fondamentaux pour l’artiste. Sa passion pour la géopolitique se traduit par des témoignages où seule une extrême beauté transparait, au point de nous en faire oublier les véritables protagonistes. Cet oubli est le déni symptomatique de notre humanité et signe la fin.
Que reste-il alors ? Il existe un moyen de le savoir : descendre au pied du gouffre.
Descendre, c’est tomber, dégringoler. C’est une chute. C’est aussi changer de niveau. Peut-être devrions-nous cesser d’avoir peur, de la lumière comme des ténèbres, et faire irruption ; se frayer un chemin et ne plus toucher terre, s’immerger pour s’élever.
Tout cela est bien symbolique me direz-vous. Et bien c’est justement dans cet ailleurs que la musique retentissante depuis votre arrivée vous invite à venir vous perdre. Descendez donc. Le gouffre est une profondeur, une profondeur due à un effondrement. L’effondrement de ceux qui ont perdu la foi. Une foi qu’il est encore temps de retrouver à travers les indices laissés par ceux qui nous ont précédés.
Après la nuit est une vidéo réalisée dans plusieurs régions africaines : en Tanzanie, sur le lac Natron situé au pied du Mont sacré des Maasai, en Ouganda, où se trouvent les Nyero Rocks, au Somaliland, dans les grottes de Laas Geel, et en Ethiopie, dans le triangle de l’Afar, de « la dépression de Danakil » à Erta Ale. Les images nous exposent à un va-et-vient entre des paysages hallucinatoires et des peintures rupestres ; entre deux volcans, l’un éveillé, l’autre éteint ; entre les abysses et les sommets. Des lieux hostiles à la vie dont la magnificence est aussi extrême que les conditions pour y accéder et les épier.
Après la nuit est une ode à la contemplation et se fait le prélude de la seconde vidéo Faith Rocks qui tend à l’élévation. Faith Rocks est un montage conçu à partir des plus vieux ensembles de peintures néolithiques dont certaines — très récemment découvertes (2002) et datant de plus de six mille ans — restent encore mystérieuses. Leur origine et leur signification sont inconnues tout en nous laissant y voir de petits bonshommes, les bras grands ouverts et tendus, face à de grands animaux. Un rappel peut-être ?
Un rappel comme ce triptyque réalisé par Clément Bedel sous la gouverne de l’artiste. Le jeune peintre, sensible aux sujets abordés par Louis-Cyprien Rials, a accepté d’appliquer le traitement de sa peinture aux desiderata du photographe et vidéaste.
Ensemble, ils interprètent une fresque réalisée en hommage à un hall vide d’une banque américaine. La figure humaine en est exclue, balayée, dégagée, au profit de ce qui nous rappelle à notre condition, de ces signes auxquels nous ne prêtons plus attention.
Les violences que notre monde subit sont multiples. Elles sont politiques, économiques, climatiques. Face à un monde qui court à sa perte, Louis-Cyprien Rials a fait le choix d’explorer les terres meurtries par la violence, oubliées et vouées à disparaitre, pour revenir et nous offrir à contempler la Beauté. Il fait appel à notre humanité. Seul, nous ne sommes rien. C’est ensemble que nous existerons.
Rashomon (in Uganda). Photo © Louis-Cyprien Rials
20.02 – 12.05.2019
Au Palais de Tokyo, Paris, France